Après l’expérience dans le Kuti, un sentiment profond de distance avec le monde s’installe en nous. C’est comme si l’on revenait à la surface après avoir plongé dans les abysses, avec une conscience aiguisée de la différence entre les deux mondes. Le bruit du quotidien, les conversations banales, le vacarme de la vie moderne semblent lointains, presque étrangers, comparés au silence intense et enveloppant que l’on a habité pendant quelques jours. Ce silence, vécu de manière si pure et profonde, ne disparaît pas lorsque l’on sort du Kuti ; il reste en nous, comme un cristal subtil, une présence intérieure qui brille doucement au milieu du tumulte du monde extérieur.
Ce silence subtil, ancré en nous, crée une sorte de bulle de calme qui filtre les sons du quotidien. Bien que les bruits du monde recommencent, que les pensées se bousculent et que la vie semble reprendre son cours frénétique, ce silence intérieur demeure. Il est là, comme un fond sonore apaisant, une couche profonde de tranquillité qui nous accompagne, quelle que soit la cacophonie extérieure. Ce n’est pas que les sons extérieurs cessent, mais plutôt que nous les percevons différemment, à travers le prisme de ce silence intérieur que nous avons appris à connaître et à aimer.
Avoir habité le silence de manière intense, même pour quelques jours, transforme notre relation avec le monde sonore. Chaque son, chaque bruit devient une expérience plus nuancée, plus délicate. On commence à percevoir le silence comme des cristaux subtils à l’intérieur des conduits auditifs, des fragments de calme qui vibrent doucement, qui résonnent avec une pureté qui contraste avec le bruit environnant. Ce silence intérieur devient un refuge, un espace où l’on peut toujours revenir, un rappel constant de cette paix profonde que l’on a touchée dans le Kuti.
Cependant, à mesure que le bruit du quotidien s’intensifie, on ressent aussi une sensation paradoxale : celle de devenir de plus en plus « grossier », de se sentir tiré vers le bas, vers l’incarnation dense de la matière. Le silence que nous avions installé commence à être masqué par la cacophonie extérieure, et avec lui, la légèreté, la subtilité que nous avions cultivées dans le Kuti s’estompent doucement. C’est comme si le corps, alourdi par le bruit et l’agitation, redevenait épais, matériel, opaque.
Ce sentiment de redevenir « grossier » n’est pas simplement physique, il est aussi émotionnel et mental. On ressent un retour à la densité de la vie quotidienne, aux préoccupations matérielles, aux pensées qui redeviennent bruyantes et envahissantes. Le contraste est frappant, entre la légèreté et la clarté du silence vécu dans le Kuti et la lourdeur du retour à la réalité ordinaire. C’est un rappel brutal de la différence entre ces deux états d’être, entre la subtilité de l’expérience intérieure et la densité du monde extérieur.
Ce sentiment de distance avec le monde n’est pas une séparation ou une fuite, mais une nouvelle manière de se tenir face à lui. C’est comme si l’expérience du Kuti avait changé notre fréquence, notre manière de percevoir et d’interagir avec le monde. On est là, présent, mais avec une qualité d’attention différente, une écoute plus fine, une capacité à voir au-delà des apparences, à entendre au-delà des bruits. Le silence que l’on porte en soi devient une boussole, un guide, qui nous aide à naviguer à travers la densité et la confusion de la vie quotidienne avec plus de légèreté, de clarté, de grâce.
Armanda Dos Santos
26 aout 2024